Léo DUBAL
Comment l'écriture
se relie-t-elle à la parole ?
L'art rupestre peut-il contribuer à la
compréhension de ce lien ?
La
représentation
graphique des phonèmes reflète la
manière
dont le cerveau code et décrypte
les messages.
La complexité du problème apparaît
dès que les deux hémisphères
cérébraux
sont pris en compte. Ils abritent les centres
d'activités
différentes.
Résumons la latéralisation de quelques
activités cérébrales, relevant de
notre sujet.
Cerveau gauche | Cerveau droit |
Séquence
temporelle Narration / Mots / Nombres Analyse |
Espace Chant / Images / Métaphores Synthèse |
Abstraction / Pensée causale | Émotion / Pensée magique |
En
d'autres
termes, l’association
d'images aux mots nécessite
d’activer les deux
hémisphères !
Notre
hypothèse :
L'activité
de création de graphèmes
iconiques dans
le
cerveau gauche serait le
coach de l'invention
et de la
maîtrise de l' écriture
phonétique
dans le cerveau droit.
Les
graphèmes
iconiques sont
des éléments graphiques
stéréotypés,
utilisés
dans une composition pour représenter quelque chose d'autre
que leur propre valeur symbolique.
Dans le motif "INTI" des couvertures
boliviennes,
ce
graphème apparaît 18 fois dans
l’image composite du Soleil.
Notons,
ici,
comment
la nature
du support
modifie de
ronde à carrée la forme du
graphème.
(Banes
& Grotte du Béhique /Cuba)
Sur la céramique, ce
graphème a été utilisé
indifféremment
pour représenter des yeux et la bouche,
alors que dans la peinture, seulement
pour les yeux
(notons les pieds représentant les oreilles
et le champignon
hallucinogène, le front).
(Mont
Bégo/ France)
Ce graphème est utilisé 5 fois:
pour la face,
le cou, la poitrine, le
ventre et
le sexe.
Cette gravure du "Chef de tribu" montre comment, dans une
composition,
l’utilisation d’un graphème
iconique ajoute une valeur
symbolique
pour une société pastorale.
Il est intéressant de relever que
c’est précisément ce
graphème
qui a joué une
rôle-clé
dans la genèse de
notre alphabet, donnant sa forme à la lettre A.
Avant
de pousser plus en avant cette revue des graphèmes iconiques,
discutons au préalable
les liens entre langage et écriture.
De tels liens peuvent être
homophoniques,
homographiques, ou
acrophoniques.
Pour ce type de lien, sont associés
à un son au moins deux
orthographes, p.ex.:
i) en Anglo-américain,
quelques graphèmes alpha-numériques
sont
utilisés, p.ex. :
"4u", à la
place de for you, ou
"Xing" à la place de CROSSing.
Ces graphies non-conventionnelles n’ajoutent
pas de valeur
symbolique significative.
ii) en Français, les
hyperliens (adresses électroniques)
sont maintenant fréquemment mis en évidence
avec le graphème arobase,
par
ex., sur mon site web apparaît l’icône
bleu cont@ct.
Le graphème "K7",
au lieu de vidéocassette,
est
couramment utilisé dans le marketing.
Récemment, la TV a invité à prendre
part à un Forum sur le Futur,
"109"
élèves, c’est à
dire
cent neuf, qui est
l’homophone de
sang neuf ..
Un autre couple homophone est "la
mère / la mer".
Ce
lien métaphorique est bien mis en évidence dans
une aquarelle
décrivant un
rêve où le visage de la mère
du peintre
apparaît à la surface d'une mare.
Ici, des
idéogrammes similaires sont
prononcés différemment.
En Chinois, un cas
intéressant,
rattaché à notre précédant
exemple,
est le lien entre le
caractère pour "mère"
(prononcé, "mu3" en
pinyin),
et celui très similaire (avec "3 vaguelettes" sur
la
gauche),
signifiant "mer" (prononcé
"hai3").
Des liens homographiques ont étés
utilisées dans des poèmes.
Par ex.:
dans Le journal de prison de Hô
Chi Minh:
Une lecture au 1er
degré donne:
"Enlevez le signe pour homme du signe pour prison, ajoutez-y
le signe
pour probabilité, cela fait le mot nation",
alors qu’une lecture au 2ème
degré donne:
"Les personnes qui
sortent de prison peuvent construire le pays".
Le
principe acrophonique consiste à utiliser comme "lettre",
le
signe
graphique décrivant une entité,
dont le nom commence avec le phonème que l'on
souhaite représenter.
Par exemple, en Ancien Égyptien,
le hiéroglyphe pour
lion se prononce "Lou".
Ce hiéroglyphe est utilisé
pour écrire
phonétiquement un nom propre, tel qu' ALEXANDRE.
Le choix de ce graphème iconique spécifique, pour
transcrire le son "L"
dans les noms de rois représente une valeur
symbolique ajoutée.
A notre opinion, l’"Age du Nom" pourrait
avoir débuté aussi
tardivement
qu’il y a 6'000 ans.
Mn
à
n
Le premier témoignage
écrit de
l’Âge du Nom est le "cartouche"
contenant le phonogramme du roi égyptien MENA,
de la 1ère
Dynastie, qui remonte à 5'150
ans.
Il est cependant difficile d’affirmer qu’il
s’agisse bien
d’un nom
personnel et pas seulement du qualificatif d’un
rôle social.
Dans l’écriture alphabétique,
le lien acrophonique
rejoint
les racines étymologiques.
La relation "mère-mer"
mentionnée précédemment donne,
en Italien
: MAdre / MAre
en Allemand : Mutter
/ Meer.
(Corse
et Tafi del
Valle/ Argentine)
Ce
graphème est utilisé 12 fois sur la
stèle corse,
4 fois (2X sur
chaque face) d'une statue-menhir,
alors que sur d’autres, il n'apparaît qu'une fois.
(Helanshan/
Chine; Sibérie)
Ce graphème
"dynamique" décrit bien
la force musculaire du tigre ou...
de sa proie.
(Twyfelfontein
/ Namibie)
Ce graphème,
utilisé pour
représenter la queue,
renforce
étrangement la présence du lion.
(Valcamonica/
Italie)
Typique
du Chalcolithique, le poignard est
utilisé pour représenter
la tête et le
tronc.
En 1978, au Capitello dei due pini, E. Anati a noté que
les
hallebardes en
forme de feuille semblent représenter
des membres
inférieures,
la tête étant
représentée par un collier-ramure.
(Helanshan/
Chine;
Toro Muerto/ Pérou)
Alors
qu'à
Helanshan,
l’icône
"triangle
pubien" spécifie
le sexe
de
la femme-insecte,
le visage secondaire suggère la grossesse.
En 1978, à Toro Muerto, A. Núñez
Jiménez a noté que le losange
formé par les membres inférieurs,
avec le sexe, semble
représenter un visage.
(Ojo
Guareña (photo M.Martin)/Espagne;
Toca do Caboclinho (photo P.Binant)/Brésil;
Carthage/
Tunisie;
Hati Thol /Inde)
La duplication en taille réduite est un graphème
intéressant
pour représenter
la grossesse.
Cela n’empêche pas,
à Hati Thol,
« des
éléphants » de s’y
mêler.
A Carthage, la réplique de la déesse
gravide est, elle aussi, sans visage.
(Carthage/
Tunisie)
Après l’invention de l’alphabet,
l’audace des lapicides a conduit
à des
graphèmes iconiques de plus en plus inattendus.
Le visage composite contraste
avec la
déesse sans visage.
(Carthage/
Tunisie; Coni /1983)
Pour la composition d’un visage, on peut même
trouver
une main "droite" bénissant comme substitut nasal,
alors que l'artiste cubain Coni utilise une main "gauche"
pour la tête de sa guitare.
(Giuseppe
Arcimboldo / 1578; Krishna; Man Ray/ 1924)
Le visage composé d’ Ève
à la pomme illustre
une adaptation des
graphèmes
iconiques au goût du 16ème
siècle,
alors que le contour du Violon d'Ingres
suit
les goûts du 20ème
siècle.
(Alfredo
Rostgaard / 1972; Bjorn Reiner/ 2004)
Profilant la tête du leader
africain Patrice Lumumba,
ce graphème illustre
toute la puissance du langage métaphorique
hérité de l’Art rupestre
Néolithique.
Les lunettes de la ministre des affaires extérieures,
offrent, elles,
grâce à Reiner, une nouvelle
vision de la femme sud-africaine.
Une
communication au colloque UISPP-CISENP
à Paris, 22-23 Octobre 2007
a été
présentée sous le
titre
"L'expression par graphèmes iconiques"
Souhaitons
que d’autres études pluridisciplinaires
viennent consolider
notre hypothèse sur le rôle des
graphèmes iconiques
dans
l’émergence de
l’écriture.