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B. Mains en positif


De l'art rupestre aux alphabets

Léo DUBAL & Monique LARREY / dubal    @   archaeometry.org

À travers l'art rupestre l'homme s'est initié à dessiner ses représentations mentales. Dès leur apparition, les signes pictographiques seraient de deux types : figuratifs & iconiques.  Ils ne cesseront de s'imbriquer au fil du temps, en particulier dans les graphèmes iconiques. Les mutations de ces signes ont jalonné le développement de la pensée, et ont conduit à l'émergence de l'identité et des alphabets (deux lettres, R & D, ont fait l'objet d'une communication en anglais). Le procédé générique mis en oeuvre a été la décomposition des signes en éléments de forme-type, "préfabriqués", susceptibles d'être assemblés diversement.

À l'aube du signe

Le tout premier signe pictographique reconnaissable sans ambiguïté, a très probablement été l'empreinte de la main. Celle-ci a été utilisée aussi bien comme pochoir (Fig. A / Chauvet / F) que comme tampon (Fig. B / Chauvet). Notons que la "mise en page" du message reflète un début d'organisation de la pensée. Ce message pictural pourrait signifier: "J'imprime la trace de ma main, donc je suis"...

Le contour typique


Après l'utilisation de la main et de pigments comme seuls outils de l'art graphique, c'est la mutation technologique... l'homme parvînt à la maîtrise du burin. Le modèle figuré devient reconnaissable, comme sortant du rocher. Un des premiers signes iconiques sculptés est le triangle pubien (Fig. C / Angles-sur-Anglin / F), qui, sans ambiguïté, à lui seul, évoque la femme-génitrice.


Identifié par Deregowski, le procédé de représentation graphique utilisé est inhérent au système œil-cerveau. Il l'a nommé "contour typique". La règle est: montrer les éléments jugés les plus utiles à la reconnaissance du modèle, chacun représenté sous son angle le plus caractéristique, voire les plus insolite. Ce procédé a été appliqué avec succès aussi bien aux "protoglyphes", ces signes stéréotypés d'objets-référence (tel le triangle pubien), qu'aux portraits, telles les vénus gravetiennes de Pech-Merle et de Cussac, ou aux portraits animaliers, comme le cheval (Fig. D / Mazouco / P) et l'auroch (Fig. E / Penascosa / P).

Lorsque le modèle est trop complexe - tel l'homme - le procédé est loin d'être maîtrisé, même tardivement (Fig. F&G /Côa). L'homme représenté dans de rares peintures pariétales reste filiforme, figé, avec, dans la Fig. H , un attribut sexuel distinctif bien saillant.

Les attributs... signes "diacritiques"


Afin de faciliter la reconnaissance des humains & des félins dont le portrait est difficile à croquer, divers "attributs" sont ajoutés au tracé filiforme. Ces "protoglyphes" jouent le rôle d'aide à la lecture, tout comme les signes diacritiques en français ou en espagnol.

Notons au passage que les tatouages d'Ötzi (la momie trouvée en 1991 sur le glacier du Similaun au Tyrol italien), sont constitués pour l'essentiel d'ensembles de 3 à 4 traits parallèles (Fig. I). Cette composition n'est pas sans rappeler la fourrure du bison de Lascaux.

À Helanshan (Ninxia, Chine), les attributs de la femme-insecte (Fig. J) sont, en complément du triangle pubien, la cage thoracique, le ventre gravide, un masque facial et des extrémités à quatre doigts.

À Listleby (Böhusland, Suède), le portrait du chasseur (Fig. K) illustre bien la synthèse du contour typique et de ses "attributs hors plan": chaque élément est représenté pour être reconnu, indépendamment de l'angle de vue des autres éléments. La tête est représentée de face avec les oreilles décollées, sous lesquelles figurent les attributs visuels. Le buste est de face, les attributs génitaux y sont accolés latéralement (côté javelot), les mollets sont montrés galbés et la main gauche  ouverte, alors que les pieds "vus d'en-haut" prolongent les jambes .

À Twyfelfontein (Namibie), le portrait d'un cornu (Fig. L) montre l'"empreinte" des sabots en prolongement des membres.

À Granisse (Rouergue, F), les mains & les pieds (Fig. M) prolongent les membres d'une statue féminine. Les statues-menhirs rouergates (Fig. N), dépourvues d'attribut buccal, témoignent que l'oralité n'est pas encore sacralisée. Le message reste l'aide-mémoire des transactions "muettes" entre les hommes et les dieux.

La mise en forme

Pour représenter certaines parties importantes d'un portrait (comme les yeux, les poils, les pattes, etc.), un procédé novateur de mise en forme s'est imposé: un attribut y est représenté par un graphème, le protoglyphe d'un autre objet.  Cette mutation est donc informatique.

Parmi les graphèmes utilisés, citons:

- la tête de corniforme: à Helanshan (Fig. O), ce graphème forme le nez et l'arcade sourcilière du masque, alors qu'au Mont Bégo (Alpes maritimes, F), le Chef de tribu (Fig. P) est composé à partir de ce graphème en variant sa taille.

- la main: à Carthage (Tunisie), ce graphème fait office de nez, (Fig. Q) alors que pour les yeux, c'est le couple lune-soleil.

- la spirale: à Helanshan (Fig. R), ce graphème se substitue à la striure du tigre.

- la cupule:  à Helanshan (Fig. S), ce graphème marque l'extrémité des cheveux d'un masque, alors qu'à La Gardette (Fig. T), il se substitue aux mains, aux pieds, au nez, et aux yeux des anthropomorphes.

- l'empreinte d'une patte: à Twyfelfontein (Fig. U), ce graphème non seulement prolonge les membres du lion, mais se substitue à la touffe de poil à l'extrémité de sa queue.

- l'empreinte...du calame sur la tablette d'argile: à Sumer, dans l'idéogramme-cunéiforme représentant la femme (Fig. W), le graphème en forme de clou se substitue à chacun des quatre traits du triangle pubien tourné sur le côté (Fig. V) .

Écrire la parole

La mutation suivante est économique. Les transactions ont conduit à coder l'oral, et, plus spécifiquement, à coder les noms propres des partenaires (hommes ou dieux). Après la maîtrise de la représentation d'un objet par un autre, c'est aux graphèmes de se substituer aux phonèmes, à la parole. Certains graphèmes évoquent des attributs humains (main, bouche, etc.). 
Suivant le principe acrophonique, au nom complet d'un objet se substitue sa première "lettre".  Prenons comme exemple la dérivation de deux "lettres", le "d" et le "r",  qui figurent dans le cartouche royal de "Kliopadra" (Fig. X). Le hiéroglyphe "det", main, a pris la valeur phonétique "d" (qui glissera vers le "t" à l'époque ptolémaïque), et le hiéroglyphe bouche, la valeur "r" .  Mentionnons que les Grecs employaient la lettre "delta" pour désigner les bouches du Nil, mais qu'en hébreux, "daleth", porte, a perdu le sens d'attribut humain, alors que "rosh", tête, l'a conservé.

Notons que la taille de la plupart des alphabets et syllabaires reste inférieure au nombre de jours du mois lunaire (voire des seuls  jours fastes).

Le sens et la forme

D'autres mutations doivent être évoquées:

- le sens de la lecture: compte tenu de la capacité du cerveau droit à la reconnaissance instantanée ("tout d'un coup") d'un message, la lecture naturelle d'une suite ininterrompue de squelettes consonantiques s'opère de gauche à droite.  L'émergence de la pensée causale - au détriment de la pensée magique - va provoquer une mutation droite-gauche du sens de lecture. La lecture de droite à gauche nécessite des aides de lecture puisque soumise aux limitations de la reconnaissance séquentielle ("l'un après l'autre"),  propre au cerveau gauche.

- le sacré & le laïc: dans les cultures à rémanences matrifocales fortes, l'image est sacrée (les hiéroglyphes !), alors que les tachygraphies sont laïques. Mais toute règle a ses exceptions: le nom du dieu Ptah s'écrit alphabétiquement en hiéroglyphique, mais idéographiquement en démotique.
La mutation radicale du matriarcat au patriarcat a été accompagnée d'une occultation de l'image, alors que le verbe, lui, accédait au sacré. Pour les textes sacrés, en hébreux par exemple, les signes diacritiques superflus sont cependant indiqués pour s'assurer d'une lecture "irréprochable".

- le dit & le non-dit : les anciens rêves chinois illustrent bien la mutation entre dit & non-dit, entre contenus explicite et latent de l'écriture. Liu Bang, l'ambitieux gardien de la ville de Péi, rêva qu'il courait après un bélier et lui arrachait les cornes et la queue. Si on enlève du caractère yang (bélier, Fig. Y) les cornes et la queue, il reste le caractère wang, roi. Devenu empereur sous le nom de Gaozu, il fonda en -202 la dynastie des Hàn.

- les symboles & l'alphabet: avec leur double langage, les stèles puniques reflètent la mutation symboles-alphabet en cours:  sous l'apparence d'une idéologie patriarcale stricte (avec des dédicaces du style: "Ce qu'a voué Z, fils de Y, fils de X, fils de W, fils de V" ) les symboles représentés restent, eux, matrifocaux (Tanit, couple lune-soleil, etc).

- l'écrit & le virtuel: Alors que seul le contenu explicite est représenté dans un message "texte", le contenu latent d'un message "hypertexte" n'attend pour se révéler qu'un click du lecteur sur l'icône choisi...le figuratif & l'iconique finalement communiquent.

Le mot de la fin

Un "tag" lisboète, railleur (Fig. Z), qui allie la parole au signe sera le clin-d'œil final à cet inventaire des mutations dans l'art du message.

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click frise Bourdois
C. Triangle pubo-génital
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E. Contour typique d'un cornu
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I. Tatouages  thérapeutiques
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K. Chasseur aux attributs
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M. Femme "muette" aux attributs

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N.Homme "muet" aux attributs

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Q. Masque à la main & au couple lune-soleil de substitution
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R. Tigre aux spirales de substitution
 

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S. Masque chevelu aux cupules de substitution

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T. Homme aux cupules de substitution
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U. Lion avec queue dressée à la patte de substitution
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V. Triangle pubien: avant & après rotation

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W. Triangle pubien (tourné de côté) aux clous de substitution

            d
click gde vue (12kbytes)             r
X. Cartouche de Cléopâtre

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Y. Caractères chinois:
"bélier" & "roi"

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Z. "Tag" (Lisbõa, 1998)


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