Les
Vikings en Cévennes ?
Léo Dubal
Sur la partie
granitique du Causse du Sauveterre,
dans la commune de Fraissinet-de-Lozère (48066),
en aval du village de Rûnes,
bondit une impressionnante
cascade
d'une soixantaine de mètres.
Entre la cascade et le
village,
un verrou granitique à 963 m
d'altitude
comporte un
bloc erratique gravé,
porteur d'un magnifique Ouroboros,
le serpent Jörmungand jaillissant d'un mythe nordique.
L'inventeur de
cette inscription est le
spéléologue Alain LAGRUE,
qui la découvrit le 21 mars
1994.
La
face gravée du rocher, côté
Nord, fait face au
village de Rûnes.
L'auteur
adossé au bloc
gravé, le 10.X.2003 (Photo:
M. Larrey)
La
traduction littérale de cette inscription donne:
De
la Terre au Ciel donc du Ciel à la Terre !
Photo
numérique et tactigraphie de l'inscription runique de la
Cascade de Rûnes (48066).
Cette
inscription, d'une largeur de 80 cm, utilise
une variante
médiévale des runes, avec un alphabet
de 27 lettres:
Examinons un à un les 9 mots de cette inscription
à
l'aide de leur translittération en caractères
ANSI:
FRA IORÞU TIL HIMINI
ÞVI
FRA HIMNI TIL IORÞAR
Le mot gotique pour ciel
qui en
allemand donnera Himmel,
a
été utilisé à
Ravenne, dès le VIème siècle:
le mot
apparait page 9, milieu 3ème
ligne
de l'évangéliaire de
l'évèque arien Wulfila
Rappelons que
c'est TIL
HIMINS AF
IORÞU
la formule utilisée dans le Gylfaginning de
Snorri,
et non FRA
(proche de l'anglais FROM).
Notons que:
TIL (jusqu'à)
doit être suivi d'un génitif, tel
IORÞAR et HIMINS
(et non d'un datif tel
HIMINI ou HIMNI dans sa forme
syncopée).
et
ÞVI , l'énigmatique conjonction de
coordination
placée entre les deux parties de
cette incantation,
signifie "donc" (en
islandais).
C'est la variante de la rune équivalente au V de "
ÞVI"
qui est utilisée, variante qui rappelle
la
confusion entre le V et le U latin.
Compte tenu que le Mont Lozère est en dehors
des limites méridionales
traditionnellement admises
de l'aire d'expansion Viking,
ces fautes grammaticales doivent-elles pour autant
mettre en doute l'ancienneté de cette inscription ?
Le
serpent-dragon qui se mord la queue est une excellente
métaphore
de l'ambiguïté autour de la datation de cette
gravure.
L'utilisation
des runes a cessé, après la victoire normande
à la bataille d'Hastings, en 1066.
Le mot "rune",
d'après Le Robert, est un emprunt (au
norvégien)
datant de 1653.
Relevons qu'en France, à cette
époque,
écrire des runes était
interdit par la religion catholique,
ce qui constitue une sorte d'invitation
à braver l'interdit dans
le hameau de Rûnes,
cette curieuse enclave catholique
dans une paroisse protestante .
Fin 1890, le viguier de
Florac, Jean Velay, rapporte dans son journal que
du
14 au 15
décembre 1703
le village de Runes,
habités par d'anciens catholiques, fut
livré aux flammes
par une bande de rebelles et entièrement
consumé...
Ghislain BAURY a relevé
que, sous la
date du 17 juin
1640,
dans le Document II.13 du fonds Rouvière
I , est
mentionné:
un consul de Fraissinet originaire du hameau de Runes.
Difficile de
savoir s'il s'agit de la première occurrence de ce
toponyme.
Notons aussi que le 30 juin
1862, l'instituteur
de Runes rapporte
que le nom
patois du village est "Runos"
Le
toponyme Rune,
d'origine gasconne, signifie, quant à lui:
lieu
couvert de rochers éboulés, ravine ,
ce qui correspond bien au paysage du lieu..
Conclusion:
1/ Le village de Rûnes
peut avoir été nommé
pour ses runes
ornant le bloc erratique du ruisseau de Rûnes ,
ou alors,
2/ un "nostalgique des Vikings" aurait
choisi
ce village au nom prédestiné
pour y graver sa contrefaçon d'un art d'un autre temps....
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